Lecture pour les élèves du secondaire extraite de
L’Amour qui Enraya la Haine : Comment ma famille survécut au génocide au Rwanda
par Tharcisse Seminega

© 2019 Editions Schortgen
Extraits avec l'autorisation de l'éditeur

Introduction

Lorsque vous lirez comment ce fléau d’une centaine de jours ravagea mon pays natal, vous ferez la connaissance de gens banals soudain métamorphosés en tueurs, en suppôts de la Mort. Face à des génocidaires brandissant des machettes, il est normal de se demander : « Qui étaient-ils ? » La réponse, déroutante, est : nos voisins, nos camarades de classe, nos collègues. Quelle folie prit possession de leur esprit, de leur cœur ? J’ai toujours autant de mal à comprendre. (xvii)

Dans notre récit, vous verrez aussi des gens qui ne semblaient pas sûrs de ce qu’ils devaient être. Quelques-uns brandissaient des armes à l’instar des tueurs mais se portèrent spontanément au secours de personnes menacées. D’autres ne faisaient rien pour sauver leur prochain mais ne le dénonçaient pas non plus. Parfois, des amis ou des étrangers nous prêtèrent assistance en constatant notre détresse. Ils méritent également notre estime pour ce qu’ils firent – ou s’abstinrent de faire. Enfin, vous rencontrerez des gens ordinaires qui se comportèrent en héros en s’attachant activement à nous sauver. Ces sauveteurs démontrèrent un amour profond, plus grand que le souci de leur propre vie. Qui étaient-ils ? Je vous le dirai. Mais je peux déjà certifier que leurs actes courageux et désintéressés m’amènent à me poser quotidiennement des questions : quel genre de personne suis-je et jusqu’où serais-je capable d’aimer ? (xviii)

Chantal et moi avions déjà été confrontés à la haine ethnique et même à la persécution du simple fait d’être tutsi. En 1961, pour sauver notre vie, nous avions dû nous enfuir avec nos parents et nos fratries respectives, nous débrouillant pour continuer nos études et préserver nos chances durant nos années d’exil. En dépit de mes anciennes déceptions et des mauvais traitements endurés, j’espérais que les personnes à présent au pouvoir reviendraient à la raison et instaureraient les droits de l’Homme pour tous les citoyens, refaisant du Rwanda un havre de paix et d’unité semblable à celui qui perdurait dans mes souvenirs de petit garçon. Mais l’avenir prouverait que je me leurrais. Les graines du génocide étaient déjà en passe d’être semées. (xxii)

À ce stade, vous vous demandez certainement où les Hutu et les Tutsi interviennent dans le décor. Mais c’étaient eux ! Là, dans mon village – vivant épaule contre épaule et se partageant les tâches. (5)

Hutu et Tutsi “Ils parlaient la même langue, le kinyarwanda, et partageaient les mêmes traditions culturelles et religieuses […]. Ce n’est que dans l’histoire plus récente que les catégories hutu, tutsi et twa se muèrent en étiquettes ethno-politiques rigides, évolution qui amènera une escalade tragique du préjugé à l’oppression et jusqu’au génocide. (6)

En grandissant, je pris progressivement conscience des catégories sociales rwandaises. Je réalisai que la principale composante de notre société traditionnelle était constituée de serviteurs et de fermiers avec peu, sinon pas, de bétail. Le peuple était hutu à quatre-vingt-cinq pour cent, le reste étant tutsi ou twa. (7)

À mesure que les richesses et le pouvoir se concentraient entre leurs mains, des seigneurs, tutsi pour la plupart, imposèrent des contraintes excessives à leurs serviteurs. (8)

Les autorités coloniales se servirent de l’élite tutsi pour assujettir et exploiter la majorité hutu. L’accès à l’éducation, à l’emploi et à la prospérité fut ouvert en priorité aux Tutsi. Pour assurer leur mainmise sur le système de gouvernance, les autorités belges écartèrent les chefs hutu et les remplacèrent par des Tutsi. (11)

Pour rendre définitivement étanches les séparations jusque-là perméables entre Hutu, Tutsi et Twa, ils imposèrent à chaque Rwandais une carte d’identité à mention ethnique. Des fonctionnaires jaugèrent la hauteur des tailles, la forme des nez, comparèrent la couleur de peau et hiérarchisèrent les occupations. À l’école, dans les églises, dans les institutions politiques, la notion de « différences ethniques » s’installa progressivement et les inégalités s’amplifièrent. Et puis, il y avait l’uburetwa, la corvée (travail forcé non rémunéré) imposée par l’autorité coloniale. Ils […] obligeaient des Hutu à creuser des trous profonds sans leur donner de salaire. Ils engageaient souvent des Tutsi pour surveiller la main-d’œuvre hutu. (11)

Le désir de briser les chaînes du pouvoir […] tutsi s’exacerba chez une majorité de Hutu qui supportaient de moins en moins la misère et les privations. Pour tenter de conserver leur ascendant, […] les responsables […] se détachèrent soudain des seigneurs tutsi et reportèrent leur soutien sur la nouvelle élite hutu. De nouveaux partis politiques se mirent à recruter leurs membres selon de stricts critères ethniques à mesure que se constituaient des mouvements prônant la suprématie hutu. (22)

En juillet 1959, […] annonça la mort du roi du Rwanda, Charles Mutara III Rudahigwa, qui avait succombé dans des circonstances mystérieuses. Les nationalistes hutu et tutsi se disputaient âprement le pouvoir. (23)

Car elle tourna la page d’un mode de gouvernement qui structurait le Rwanda depuis des siècles. Un bon nombre […] se trouvaient en exil. Les […] hutu qui, presque du jour au lendemain, se montrèrent méfiants et hostiles envers leurs anciens amis tutsi. (24)

C’était comme s’il n’y avait plus de place pour les Tutsi au Rwanda ! (25)

Chapitre 5 – Au cœur de la tempête (1988-1994)
Chapitre 6 – Quand s’ouvrirent les écluses de la haine
Chapitre 7 – Entre amis et ennemis
Chapitre 8 – Un mur de boue nous sépare de la mort
Chapitre 9 – Vivant dans la tombe
Chapitre 10 – Enfin la lumière